Au 60 de la rue Saint-Denis, une inscription attire le regard du flâneur: "Maison Batave 1795-1859"
Que viennent faire les Bataves, autrement dit les Hollandais, rue Saint-Denis?
Ici, jusqu'à la révolution se dressaient les bâtiments de l'église du Saint Sépulcre comme le montre clairement le plan Turgot.
Au rez-de-chaussée, des commerces surmontés d'un entresol s'ouvraient sur un péristyle. Au-dessus quatre étages de logements. la cour constituait également un passage car elle s'ouvrait sur la rue Saint-Denis, et communiquait avec la rue Saint-Martin par la petite rue de Venise qui traversait la rue Quincampoix.
Cette cour est typique des constructions parisiennes de l'époque. D'abord, parce qu'elle est le fait d'un groupe d'investisseurs privés. Ensuite parce-qu'elle donne une épaisseur à la ville: là où Haussmann et le Second Empire créeront des façades, l'Empire, puis la Restauration et enfin la Monarchie de Juillet ont créé des passages, des possibilités de se déplacer au travers des îlots construits. Enfin, parce qu'il correspond à de nouveaux modes de consommation: c'est le début de la boutique telle que nous la connaissons et surtout à une importance toute nouvelle accordée à la vitrine censée attirer le chaland et lui donner envie de passer le seuil.
Cette cour antérieure aux arcades de la rue de Rivoli, contemporaine de la petite rue des Colonnes (construite sur un modèle identique également par des investisseurs privés) tomba en désuétude et n'eut sans doute pas le succès que les investisseurs en attendaient. Balzac n'en fait d'ailleurs pas une description très flatteuse:
La cour batave où demeurait ce petit vieillard [Jean-Baptiste Molineux] est le produit d'une de ces spéculations bizarres qu'on ne peut plus s'expliquer dès qu'elles sont exécutées. Cette construction claustrale à arcades et galeries intérieures, bâtie en pierres de taille, ornée d'une fontaine au fond [...] fut sans doute inventée pour doter le quartier Saint-Denis d'une sorte de Palais-Royal. ce monument malsain enterré sur ses quatre lignes par de hautes maisons, n'a de vie et de mouvement que pendant le jour, il est le centre de passages obscurs qui s'y donnent rendez-vous et joignent le quartier des halles au quartier Saint-Martin par la fameuse rue Quincampoix, sentiers humides, où les gens pressés gagnent des rhumatismes; mais la nuit, aucun lieu de Paris n'est plus désert, vous diriez les catacombes du commerce. Il y a là, plusieurs cloaques industriels, très peu de Bataves et beaucoup d'épiciers. Naturellement, les appartements de ce palais marchand n'ont d'autre vue que celle de la cour commune où donnent toutes les fenêtres, en sorte que les loyers sont d'un prix minime. Monsieur Molineux demeurait dans un des angles au sixième étage, pour raison de santé: l'air n'était plus pur qu'à soixante-dix pieds au dessus du sol.
Balzac, César Birotteau, 1937 |
D'après la description qu'en donne Balzac, les promoteurs ne surent pas attirer les commerces à la modes, les commerces de luxe qui firent le succès des galeries et passages de l'époque suivante. les appratements sont aussi décrits comme insalubres, les fenêtres ne donnant que sur la cour, celle-ci assez triste. Pourtant, il s'agit bien là d'une première tentative, d'une initiative privée (et non l'aménagement d'un palais princier) suivie de bien d'autres: passage du Caire, passage des Panoramas...
La cour disparut lors du percement du boulevard Sébastopol et du prolongement de la rue de la Cossonnerie. Seuls demeurent le magasin du 60 rue Saint-Denis avec sa fenêtre de l'entresol caractérisitque en demi-lune et l'inscription "Maison Batave 1795-1859"
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